Handisport : Interview de Cédric Nankin, athlète paralympique de rugby fauteuil

Aujourd’hui, pour aborder le thème du handisport, je suis allée rencontrer Cédric Nankin, athlète paralympique de rugby fauteuil. Dans cet entretien, il retrace son parcours, ses performances et ses projets pour l’avenir. Une rencontre très inspirante que je vous invite à découvrir.

 

 

 

 

 

 

 

Parlez-moi du rugby fauteuil. Si vous deviez expliquer ce que c’est à des gens qui ne connaissent pas ? Quelles sont les règles ?

Ce sport a été inventé dans les années soixante-dix par d’anciens hockeyeurs et footballeurs américains, qui à la suite d’accidents de la vie, sont devenus tétraplégiques.

Aux centres de rééducation ce qu’on leur proposait au niveau sportif c’était du tennis de table et de la sarbacane. Mais pour des mecs issus de sport de contact, ça ne leur convenait pas donc ils ont inventé ce sport appelé au départ « murderball » et qui se joue avec un ballon rond.

A partir de 2000 ça a changé de nom pour devenir « wheelchair rugby » afin de faire partie des jeux paralympiques car « muderball » n’était pas très politiquement correct.

C’est un mélange de règles entre le hockey car il y a des systèmes de prison sur certaines fautes ; des règles de basket car on démarre avec un « tip off » ; des règles de foot américain où on a le droit à la passe en avant et en arrière. Ça se joue avec un ballon de volley-ball pour que ce soit léger et que les différents acteurs de ce jeu puissent contrôler le ballon. Car quand on devient tétraplégique, visuellement on a des membres, mais on a différentes parties du corps qui ne fonctionnent plus donc parfois une passe peut être compliquée pour certains.

Donc ça n’a rien à voir avec le rugby traditionnel et ses plaquages sur le terrain ?

Non, c’est un sport très technique. On peut comparer ça aux échecs car selon notre positionnement, on pourra arrêter une personne qui aura une classification supérieure à la nôtre.

Qu’entendez-vous par « classification » ? Vous êtes classés par catégorie ?

On est classifiés selon notre handicap. On a une quotation qui est donnée par un panel – qu’on appelle les classificateurs – et qui vont nous observer et voir si on peut ramasser une balle à une main ou pas par exemple. Et donc l’addition des quatre joueurs qui vont être sur le terrain ne doit pas dépasser huit points. Le but est d’avoir des équipes équitables et que chacun ait un rôle dans le jeu. Les classifications vont de 0.5 à 3.5 et 0.5 correspond aux personnes les plus handicapées et 3.5 correspond aux personnes les moins handicapées. On doit être touché au minimum à trois membres pour pouvoir pratiquer ce sport en compétition. Contrairement au basket fauteuil où des personnes valides peuvent le pratiquer.

Comment avez-vous découvert le rugby fauteuil ?

J’ai découvert ce sport un peu par hasard. En 2008, j’obtiens mon BTS et je galère à trouver du travail. Donc on m’a présenté à une personne qui est aussi handicapée et qui fait partie du milieu associatif. Donc je contacte cette personne en me disant qu’elle va me trouver du travail. Et ça, c’est deux ans après mon BTS donc en 2010.

On s’est donnés RDV au gymnase où il y avait un match de basket fauteuil ce jour-là. Dès que cette personne me voit, elle me dit qu’il faut qu’elle m’embarque dans un truc. Moi je pensais qu’il m’avait trouvé du travail et en fait pas du tout. Il me parle de quad rugby, qui est du rugby pour les tétraplégiques. Au début je me disais que ce n’était pas pour moi, jamais de la vie j’en ferais, j’avais trop peur de me faire mal.

Mais il voit mon potentiel. La première chose qu’il m’a dite c’est que si je venais dans cette discipline, je serais un des meilleurs joueurs au monde, je participerais à des jeux paralympiques et que j’irais en équipe de France rapidement. Mais pour moi, il voulait juste vendre son truc et tout ce que je voulais c’était trouver du travail c’est tout.

Il me rappelle quand même régulièrement pour me dire de venir voir les entraînements et essayer. Un jour il m’appelle pour faire une prise de mesure pour des fauteuils. Une fois qu’ils ont été prêts, il m’a rappelé pour venir essayer le fauteuil donc j’y suis allé. Et ce jour-là, il me dit qu’il nous embarque pour faire la manche des championnats de France avec Clermont-Ferrand. J’ai donc essayé et ça m’a tout de suite plu.

Il a eu raison lorsqu’il m’a parlé la première fois car au bout de deux ans, j’ai été appelé en EDF. En 2018, au championnat du monde, on m’a élu meilleur joueur de ma catégorie et en 2016 je participe à mes premiers jeux paralympiques à Rio.

Qu’est-ce qui vous plaît dans ce sport ?

Les rencontres avec les différentes personnes. On est adversaires sur le terrain mais en dehors on fait la fête, on se côtoie, on se donne des conseils… c’est vraiment ce qui m’a plu dans ce sport et qui a fait que j’ai accroché et c’est ça aussi l’esprit rugby.

Est-ce que le sport a toujours fait partie de votre vie ?

Non, avant le rugby, j’avais un vélo à bras que j’utilisais avec des amis. Normalement c’était pour faire de la compétition avec l’association Castel Handisport mais je pratiquais plus pour m’amuser que dans un esprit compétitif.

Aujourd’hui vous êtes 100% dédié au rugby ?

J’ai été responsable au sein d’un programme de l’association pendant cinq ans. Comme il s’agissait de contrats aidés et qu’ils n’étaient plus trop aidés, nous avons décidé d’un commun accord d’arrêter.

Donc depuis l’année dernière je suis sans emploi et je recherche du travail. Je suis sur plusieurs pistes mais trouver un patron qui accepte que je m’entraîne tous les jours c’est compliqué.

Vos entraînements ont donc lieu tous les jours ?

J’ai au moins une séance par jour. D’autant plus que nous sommes dans une période où on essaye de se qualifier pour les jeux paralympiques de Tokyo 2020. On a un tournoi qualificatif pour les jeux paralympiques début mars à Vancouver. Il faut qu’on arrive à se qualifier à ce tournoi et le but serait aussi de faire une médaille aux jeux si nous nous qualifions donc c’est entraînement à fond.

Et vous faites la route tous les jours jusque Paris pour vos entraînements ?

Mes entraînements d’équipe ont lieu sur Paris au gymnase, au sein de l’association. Pour mes entraînements personnels physiques, cela a lieu au Crossfit la fontaine à château avec un coach personnel qui me donne des exercices et qui m’encadre.

Qu’est-ce que votre coach vous fait travailler pour vous préparer ? Qu’est-ce qui est important de travailler quand on pratique le rugby fauteuil ?

On travaille essentiellement le cardio et l’endurance. Au rugby fauteuil, ce qui est important c’est de tenir dans la durée. On passe rapidement d’une phase d’attaque à une phase de défense car toutes les 20 à 30 secondes, il y a un essai qui est marqué. Donc il y a des matchs super intensifs et faut être prêt.

Vos fauteuils vous sont-ils fournis ?

Jusqu’à maintenant c’est l’association qui nous les fournissait mais on commence de plus en plus à avoir nos fauteuils personnels. C’est compliqué pour eux d’acheter des fauteuils sur-mesure pour tout le monde.

Ils m’ont fourni mes deux premiers fauteuils et pour mon troisième fauteuil, je suis allé le chercher aux Etats-Unis. Ils m’ont aidé à le financer en partie et j’ai demandé différentes aides à différents organismes pour obtenir d’autres financements, que j’ai mis deux ans à rassembler. Un fauteuil coûte un peu plus de dix mille euros.

Je me suis financé mes différents déplacements car je suis allé deux fois aux Etats-Unis. Une première fois pour prendre les prises de mesure du fauteuil et une deuxième fois pour réceptionner le fauteuil.

Pourquoi devez-vous aller aussi loin pour avoir votre fauteuil ? On n’en fabrique pas en France ?

On ne fabrique pas de fauteuils de rugby fauteuil en France, par contre en Angleterre et en Allemagne il y a des fabricants. Mais il y a cinq ans j’ai eu mon premier fauteuil défensif avec ce fabricant américain et j’ai préféré continuer avec lui car c’était plus simple.

Comment bien se maintenir lors des matchs ?

Pour les personnes tétraplégiques, il y a des attaches au niveau du ventre car elles ne sont pas stables du tronc.

Pour ma part j’ai une ceinture au niveau du bassin et au niveau des jambes pour être bien fixé à l’assise et ne pas trop bouger, notamment lors des chocs.

Ça arrive que vous tombiez ?

Oui ça arrive qu’on tombe, il est possible de se blesser. Il y aussi des crevaisons de pneus mais les chutent restent rares. Elles arrivent surtout à haut niveau et c’est plutôt les attaquants qui vont être la cible d’attaque. 

Tout à l’heure vous me parliez de vos premiers jeux paralympiques à Rio en 2016. Comment on se prépare à une telle compétition ? En plus de la préparation physique, est-ce qu’on vous prépare mentalement aussi ?

On n’a pas abordé la question du mental avant 2019. Maintenant, on a une préparatrice mentale, qui a intégré l’équipe l’année dernière, donc c’est tout nouveau. On n’en voit pas encore les bénéfices car ça fait moins d’un an mais je pense que ça va porter ses fruits.

Qu’est-ce que vous abordez avec la préparatrice ?

Elle est là sur l’accompagnement des encadrants du coach, car on s’est aperçus qu’il y avait quelques faiblesses à certains niveaux donc elle les aide à travailler sur ces aspects.

Pour l’équipe, elle nous apprend quelques trucs avant le début des compétitions comme des exercices de respiration, par exemple.

Après, certains en ont plus besoin que d’autres car on n’a pas tous le même mental, la même force donc elle fait beaucoup d’individuel pour ceux qui en demandent. Elle fait aussi un peu de groupe pour renforcer la cohésion d’équipe.

Est-ce que le rugby fauteuil vous apporte quelque chose sur le plan personnel ?

Ça m’a aidé sur ma timidité, sur ma façon d’aborder les choses. On réfléchit différemment sur certaines situations et c’est aussi beaucoup de valeurs et d’amitiés, que ce soit en Equipe de France ou au niveau international ou local. Cela permet de tisser des liens d’amitié.

Sur le plan professionnel, est-ce que le rugby fauteuil vous aide lors d’entretiens ? Les recruteurs se montrent-ils intéressés, voire curieux puisque ce n’est pas tout le monde qui peut pratiquer ce genre de discipline ?

Depuis que j’ai quitté l’association, je n’ai pas réellement eu d’entretiens. En ce moment je fais un bilan de compétences pour savoir vers quoi me diriger. J’étais tourné vers la comptabilité mais ça ne me plaît plus car j’ai vu autre chose en étant responsable du programme Cap Résilience, que je gère toujours en bénévolat.

Le principe c’est d’intervenir dans les centres de rééducation présenter le sport fauteuil manuel aux personnes qui sont dans ces centres. L’idée c’est de leur montrer que certes, ils ont connu une vie avant l’accident mais que la vie ne s’arrête pas là, des choses sont encore possibles et le sport peut les aider. En plus, cela permet de donner un bon complément à la rééducation.

Chez nous, des joueurs arrivaient avec une aide ou une assistante électrique et maintenant ils n’ont plus besoin d’aide. Ils arrivent à se transférer tout seul dans leur voiture et ils gagnent en autonomie dans la vie de tous les jours. Faire du sport régulièrement ça permet de gagner en muscle donc ça permet de réaliser de belles choses comme celles-ci.

Vous aimeriez évoluer dans ce domaine associatif ?

Pas spécialement car c’est compliqué d’avoir ça dans le secteur privé car j’étais en contrat aidé donc c’était un peu compliqué aussi financièrement.

Je suis en train de voir pour être formateur dans différents domaines ou monter ma propre structure pour pouvoir intervenir auprès de publics. Par exemple, je suis intervenu auprès d’Orpi dans le cadre d’un séminaire de fin d’année avec les collaborateurs où on m’a demandé de mettre l’accent sur la force de caractère, le courage, la motivation… Pourquoi pas évoluer là-dedans s’il y a de la demande et cela me permettrait de gérer mon emploi du temps et de jongler avec les entraînements.

Quels sont vos futurs projets ? Souhaitez-vous vous lancer dans une autre discipline ?

Je n’y ai pas vraiment réfléchi car le rugby fauteuil me plaît vraiment, et j’y ai ma place.

Je suis très content de tout ce que j’ai appris et découvert grâce à ça : le fait de voyager notamment. On a parcouru beaucoup de pays. On est allés en Australie en 2018, on est allés deux fois au Japon et j’espère y retourner en septembre pour les jeux paralympiques. Donc c’est une partie de ma vie que j’adore mais si demain ça doit s’arrêter, j’ai toujours ma vie à côté.

On met de côté la partie financière et travail pour pratiquer ce sport de manière bénévole, puisqu’on n’est pas rémunérés pour ce qu’on fait. Et d’ailleurs la recherche de sponsors est compliquée car c’est à nous de le faire. Toutefois, on n’est pas formés à ça, on ne sait pas faire et on n’a pas d’encadrement à ce sujet. Ce n’est pas juste envoyer sa candidature, il faut entrer en contact avec des sociétés lors d’événements, rencontrer des gens. Et tout ça prend beaucoup de temps, il faut connaître le milieu. Je trouve ça un peu dommage de pas être préparé car on doit garder un niveau de forme pour se qualifier mais derrière les moyens ne sont pas vraiment mis en place.

Pensez-vous que le handisport est assez diffusé ? Qu’on en parle assez ?

Au niveau des médias, ça reste très peu diffusé mais il y a tout de même une amélioration.

Lors des jeux paralympiques de 2016, on est passés d’un résumé de dix minutes par jour qu’ils faisaient sur tous les sports paralympiques à dix heures de direct donc c’est une belle avancée. En plus, ils se sont aperçus que c’était très suivi.

On pensait qu’ils auraient plus communiqué sur le handisport, ce qui nous aiderait à trouver des sponsors, mais c’est pas forcément le cas. Donc il y a une amélioration mais on en veut toujours plus.

Quel est votre leitmotiv dans la vie de tous les jours ? Vous adoptez toujours une positive attitude ?

C’est ce qu’on dit de moi ! Malgré mon parcours de vie et les différentes galères que j’ai eues je me dis qu’il y a toujours pire que nous donc on n’a pas le temps de se plaindre. Faut juste trouver comment avancer, continuer à avancer et faire les choses avec le sourire, sans tirer la gueule. On mange et on dort dans des endroits plutôt confortables alors que y’a des gens à la rue donc on n’a pas de quoi se plaindre.

Quel message aimeriez-vous transmettre ?

Il faut oser franchir le pas, aller au-delà, penser différemment. Il faut se montrer curieux, aller découvrir le monde et les différents sports. Quand j’entends parler d’un sport pas loin de chez moi, je vais y jeter un œil. Je pense que c’est important d’oser faire les choses, et surtout de prendre le temps de les faire. Le temps on l’a puisqu’on est en vie, il faut juste le prendre, revoir ses priorités, et au final on arrive à en trouver.

Une belle philosophie de vie qui nous amène à relativiser ! On souhaite à Cédric et son équipe de se qualifier pour les Jeux de Tokyo qui auront lieu cette année !

Retrouvez toute l’actualité de l’équipe de France de rugby fauteuil sur leur page facebook!

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984 réponses sur “Handisport : Interview de Cédric Nankin, athlète paralympique de rugby fauteuil”

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